Pourquoi offre-t-on des livres aux bébés ?
De jouet sensoriel au guide de compréhension du monde, les livres ont des super-pouvoirs dès la naissance. Âge par âge, voici tout ce que les livres enseignent à nos enfants.
Les humains ont d’étranges coutumes. L’une d’elles consiste à offrir des livres aux bébés, alors qu’ils ne savent pas parler… et encore moins lire ! Si on leur met déjà des livres entre les mains, c’est qu’on a l’intuition qu’ils jouent un rôle crucial dans leur construction. En France, selon une enquête Ipsos, 93 % des parents considèrent qu’offrir un livre à un enfant sert à quelque chose, même s’il ne sait pas lire. Dans le même temps, certains pensent qu’il ne sert à rien de démarrer la lecture très tôt, qu’ils sont "trop petits pour comprendre"... Que nenni. Car oui, ce T’choupi déchiqueté à coups de dents de lait occupe une fonction non négligeable. On vous met à la page.
À partir de 3 mois : éveil et motricité
Les premières semaines, c’est du sommeil, du lait et des larmes ! Les nouveau-nés dorment en moyenne entre 14 et 18 heures par jour. Autant dire qu’ils se fichent bien des bouquins. Dès trois mois en revanche, l’objet devient digne d’intérêt : le nourrisson tient généralement mieux sa tête, il oriente son regard et commence à explorer le monde qui l’entoure. Il peut saisir des objets et les porter à la bouche. Quel rapport avec la lecture, nous demanderez-vous ?
Certes, à ce stade, le texte importe peu. "Le livre est d’abord une expérience sensible, c’est un objet qui va mobiliser tous ses sens, comme sa vue, son toucher et même son odorat...", explique Charlotte Duverne, fondatrice de la maison d’édition pour tout-petits Marcel et Joachim. Le livre est donc considéré comme un outil d’éveil, et de… motricité !
"Motricité fine des mains, mais pas seulement ! Placer un livre sur son tapis d’éveil peut l’inciter à bouger, un livre miroir peut le motiver pour relever la tête quand il est sur le ventre…", illustre la maison d’édition.
Le livre s’attrape, se manipule, se mâchouille… C’est le moment d’offrir des albums à secouer, froisser, caresser. En tissu ou plastifiés. Avec des couleurs contrastées et des silhouettes intrigantes, en forme d’œuf, de crocodile, de pot de miel et même de brique de lait !
Photo : Et maman tu deviendras
De 1 à 3 ans : un "bain" de vocabulaire
Vers 1 an, l’enfant sait tourner lui-même les pages et s’intéresse de plus en plus aux images. C’est le bon moment pour introduire le rituel de l’histoire du soir. En effet, les recherches montrent qu’une histoire par jour enrichit significativement le vocabulaire des enfants. Une étude de 2019 publiée dans le Journal of Developmental and Behavioral Pediatrics part du constat qu’aux États-Unis, les livres pour les 0-2 ans contiennent en moyenne 140 mots, et ceux pour les 3-5 ans, 228 mots. Le calcul est simple : à 5 ans, un enfant ayant écouté une histoire par jour aura été exposé à des milliers de mots de plus que ceux qui n’en ont pas bénéficié… C’est ce que les chercheurs appellent le "word gap" (le "fossé lexical").
Au-delà de la quantité de mots, l’intérêt des livres est d’offrir un "bain lexical" avec des termes plus rares ou complexes que ceux du quotidien. "Les livres pour enfants contiennent trois fois plus de mots peu fréquents que les contenus télévisés ou que les conversations entre adultes et enfants, selon Donald Hayes et Margaret Ahrens dans un article publié dans Journal of Child Language", rappelle Frédéric Bernard, maître de conférences en neuropsychologie.
Autre phénomène notable : en grandissant, les jeunes enfants réclament souvent la même histoire encore et encore. Une obsession qui désespère parfois les parents, mais qui a une utilité : la répétition leur procure du plaisir, les sécurise, facilite l’intégration d’informations complexes et la mémorisation de nouveaux mots. La répétition est en effet l’un des quatre piliers fondamentaux de l’apprentissage – nous y reviendrons dans d’autres articles. Roule Galette vous sort par les yeux ? Prenez sur vous, dit la science, c’est pour la bonne cause !
De 3 à 5 ans : développer l’imagination et le goût de lire
À cet âge-là, les enfants comprennent qu’ils ont, eux aussi, un pouvoir créateur. Ils sont capables de décortiquer la mécanique littéraire : la nécessité d’avoir des péripéties, un dénouement… Et pour peu qu’on les y encourage, ils prennent plaisir à inventer eux-mêmes des histoires.
Continuer à feuilleter des livres avec eux les aide à construire un raisonnement logique, à développer leur imagination, et constitue une passerelle vers la lecture autonome autour de 6 ans. "La lecture partagée est considérée comme l’une des activités les plus importantes pour le développement des connaissances préalables aux succès ultérieurs en lecture", souligne Frédéric Bernard.
Qui sait, de fil en aiguille, ce livre en tissu offert à votre neveu dans ses premiers mois de vie pourrait faire naître une vocation de grand lecteur. De Cache-cache petit panda à Alexandre Dumas, il n’y a qu’un pas ?
📚 Sources
"Aux livres les bébés !", conférence de Patrick Ben Soussan
"Lire des histoires aux enfants, pourquoi c’est important", The Conversation, 2022
"Pourquoi les enfants aiment lire et relire les mêmes histoires", The Conversation, 2018
"Quality of words, not quantity, is crucial to language skills, study finds", The New York Times, 2014
"Parental Reading to Infants Improves Language Score: A Rural Family Medicine Intervention", Journal of the American Board of Family Medicine, 2022
"When children are not read at home: the million word gap", Journal of Developmental and Behavioral Pediatrics, 2019
"Plus d’une mère sur deux lit une histoire à son enfant tous les jours", Enquête Ipsos, 2009
"Les enfants et la lecture", enquête Bayard - Harris Interactive, 2010
"Lire à son enfant lui fait apprendre des centaines de milliers de mots", Actualitté, 2019